Affaire Gregory – L’ADN et l’espoir de vérité

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L’ADN et l’espoir

profil génétique électrophorèseEn 1985, Alec Jeffreys découvre la possibilité d’établir des profils génétiques. L’ADN est encore loin d’être d’actualité au moment de l’affaire Grégory. En revanche, dans les affaires criminelles, les enquêteurs font appel aux laboratoires qui peuvent effectuer des tests pour déterminer un groupe sanguin ou un Rhésus. Chez certains individus dits sécréteurs (environ 80% de la population), les groupes sanguins peuvent être établis non seulement avec leur sang mais aussi à partir de fluides corporels comme de la sueur, du sperme ou de la salive.

timbre siteLe 24 juillet 1985, le juge Lambert demande à Christine Villemin, son accord pour effectuer un prélèvement sanguin en vue d’établir son groupe sanguin, et de comparer avec la salive présente sur le timbre de la lettre de revendication du crime. Christine Villemin accepte, mais le juge Lambert ne donnera pas suite à cette demande. Cette première tentative d’étude du timbre sera suivie par bien d’autres mais plus de 15 ans après les faits.

Les techniques permettant d’établir un profil génétique ont considérablement évolué les 20 dernières années. Suivant cette évolution, les avocats des parents de Grégory demanderont par trois fois, entre novembre 1999 et juin 2010, de nouvelles analyses de scellés.

Première demande (1999)

Le 25 Novembre 1999, la réouverture du dossier d’instruction est demandée par l’avocat de Jean-Marie et Christine Villemin, Me Thierry Moser. Celui-ci demande une recherche de traces d’ADN sur les timbres présents sur les enveloppes et sur les courriers envoyés par le corbeau.
Suite à cette demande, un examen des documents mis sous scellés (écrits et enveloppes) montre que peu de pièces sont exploitables en l’état actuel des connaissances. Sur les enveloppes, il ne reste plus qu’un demi timbre présent sur l’enveloppe datée du 27 avril 1983. Les timbres présents sur l’enveloppe datée du 17 mai 1983 ou sur l’enveloppe de la lettre de revendication du crime ont disparu.

Malgré ce peu d’éléments matériels, le procureur puis la chambre d’accusation de Dijon donnent un avis favorable, le 14 juin 2000, à la demande de Me Moser. Seule la lettre de revendication du crime sera analysée. Le dossier d’instruction est rouvert et le scellé de la lettre de revendication du crime est envoyé au CHU de Nantes.

Résultat de l’analyse de la lettre de revendication du crime

analyse adnLe 10 octobre 2000, les experts déclarent qu’ils ont détecté un mélange de plusieurs ADN mais que

ce mélange est ininterprétable ce qui est probablement du aux diverses manipulations de l’enveloppe depuis 1983 et/ou aux conditions de conservation du scellé

 

Le mélange contient l’ADN de trop d’individus. Lorsqu’un mélange contient l’ADN de plus de deux ou trois personnes, le mélange ne peut pas être interprété avec une valeur probante élevé.

Cette recherche s’avère donc vaine mais elle aura des conséquences pour la suite de l’affaire puisque c’est à partir de l’arrêt de non-lieu de la chambre d’accusation de Dijon, rendu le 10 avril 2001, que coure la nouvelle prescription jusqu’au 10 avril 2011.

Deuxième demande (2008)

scelle affaire gregory siteLes Villemin et Me Moser, leur avocat, consultent le Pr Pierre Margot directeur de l’Ecole des sciences criminelles de Lausanne . Celui-ci établit un rapport à destination de Me Moser, concernant la possibilité de nouvelles analyses. Ce rapport est transmis au procureur avec une demande de rouvrir le dossier d’instruction.

Le mercredi 9 juillet 2008, le procureur donne un avis favorable à la demande des Villemin et décide de requérir la réouverture du dossier d’instruction judiciaire.

Le 3 décembre 2008, la cour de Dijon ordonne la réouverture du dossier. La cour ordonne ainsi l’expertise :

– des vêtements de l’enfant,
– de la seringue, de son emballage et du flacon d’insuline trouvés sur les berges de la Barba
– des lettres et des enveloppes envoyées par le(s) corbeau(x).

Résultats de l’analyse des vêtements, de la seringue et emballage et des diverses lettres envoyées par le(s) corbeau(x)

Le laboratoire Biomnis chargé des analyses rend son rapport le 21 octobre 2009 :

  • Sur le timbre et la lettre postée le 24 juillet 1985, soit neuf mois après le crime, deux ADN sont découverts, un ADN féminin et un ADN masculin. Pour l’ADN du timbre, il s’agit d’un ADN féminin mais les experts ne savent pas s’il a été relevé au dessus ou en dessous. Pour l’ADN présent sur la lettre, il s’agit d’un ADN masculin relevé au centre de celle-ci.
  • Sur les cordelettes, les experts ont découvert au centre d’un nœud des bribes d’au moins trois ADN. Il s’agit d’un mélange de traces et les quantités sont très faibles. Le mélange ne permet pas de réaliser d’identification mais permet d’exclure les parents de Grégory comme étant à l’origine d’une de ces traces.
  • Sur l’anorak de l’enfant, son ADN est découvert sur le poignet gauche bien que le vêtement ait séjourné quelques heures dans l’eau.
  • Sur la seringue, l’emballage et le flacon aucune trace exploitable n’est relevée.

Exploitation des résultats

Pour exploiter les résultats d’analyse génétique, la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN) est saisie, le 16 novembre 2009, par le juge d’instruction Jean-François Pontonnier par une commission rogatoire. Les gendarmes créent une cellule composée de douze enquêteurs pour répondre à la demande du juge. Ils établissent ainsi une liste de 186 personnes proches du dossier afin de les soumettre à un prélèvement biologique. Ils identifient ainsi des policiers, gendarmes, greffiers, magistrats, laborantins qui ont pu être en contact avec les scellés. Ils établissent une liste de l’entourage de la famille de Grégory Villemin qui comprend les familles Villemin, Bolle, Laroche, Jacob (cf arbre généalogique) et des villageois qui résidaient à Lépanges-sur-Vologne au moment des faits. Des profils génétiques de plus de 35 personnes décédées sont obtenues à partir de leur descendance. Pour Bernard Laroche, c’est l’analyse de ses vêtements portés le jour de sa mort qui permet d’établir son profil génétique.

Suite à ces collectes, les profils génétiques établis sont comparés avec les profils ADN établis à partir des scellés étudiés par Biomnis (vêtements, cordelettes, seringue et flacon, enveloppe, timbre et lettre) .

Conclusion après l’exploitation des résultats

Voici la conclusion de Biomnis rendue le 5 mai 2010 :

“Aucun des profils établis dans le cadre de la présente mission ne ressort des mélanges présents sur les cordelettes, sur les vêtements et sur les enveloppes. L’absence de corrélation évidente entre les profils de l’ensemble des personnes étudiées avec les mélanges présents sur les scellés est vraisemblablement causée, notamment par plusieurs facteurs :

  • dès le départ à l’exception de la lettre et du timbre sur l’enveloppe du 24 juillet 1985, les scellés ont probablement contenu peu de matériel biologique apporté par le ou les auteurs
  • les traces biologiques présentes sur les vêtements et les cordelettes ont souffert de leur séjour prolongé dans l’eau, ce qui a sans aucun doute contribué à la perte du matériel biologique éventuellement présent à la surface de ces objets
  • par la suite les scellés ayant été souvent manipulés, il est certain qu’ils ont été contaminés à plusieurs reprises par l’ADN de tiers, ce qui a contribué d’une part à “diluer” les ADN présents au départ, d’autre part, à rendre complexe l’individualisation de ces tiers dans les mélanges présents sur les scellés”

Le parquet de Dijon confirmant que les analyses n’ont débouché sur aucune piste referme le dossier.

scelle affaire gregory site2

Troisième demande (2010)

Le 30 juin 2010, la justice examine la demande des parents de Grégory qui réclament de nouvelles analyses. Les demandes, qui ne sont pas uniquement basées sur des analyses ADN, sont les suivantes :

  • Analyser un cheveu retrouvé sur le pantalon de l’enfant
  • Rechercher l’ADN au cœur des cordelettes avec notamment un nouveau procédé appelé LCN (low copy number) qui permet de détecter des quantités d’ADN aussi faibles qu’une seule cellule
  • Comparer les enregistrements des voix du corbeau et les voix des différents protagonistes de l’affaire telles qu’elles ont été recueillies par les journalistes de l’époque
  • Rechercher des traces digitales sur les parties collantes des enveloppes
  • Rechercher des traces de foulage sur la lettre de revendication du crime
  • Rechercher des micro-traces de contact sur l’anorak et le pantalon de Grégory
  • Analyser des diatomées prélevées sur l’enfant

Le 20 Octobre 2010, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Dijon donne un avis favorable à ces demandes exceptées pour les recherches de diatomées et les recherches de micro-traces de contact sur l’anorak de l’enfant.

Résultats des analyses ADN du cheveu et à l’intérieur des cordelettes

Lundi 16 janvier 2012, le procureur général près la cour d’appel de Dijon, M. Beney, a annoncé à l’AFP quel’analyse du cheveu, ainsi que celle du coeur des cordelettes, n’avaient rien donné. “On vient de nous notifier les résultats du laboratoire Biomnis”, chargé des analyses ADN, “qui ne permettent pas d’extraire de l’ADN des cordelettes”, a-t-il déclaré. “Concernant le cheveu, ils ont pu retrouver de l’ADN mitochondrial“, qui contrairement à ” l’ADN nucléaire ” peut être partagé par deux personnes sans lien de parenté, a indiqué le magistrat.

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