Attentats de Paris : Le travail dantesque de la police scientifique

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Intervention de la Police Technique et Scientifique lors des attentats de Paris le 13 novembre 2015.
Vendredi 13 novembre 2015, la France est la cible de la plus importante attaque terroriste de son histoire. Une vague d’attentats touche la capitale et l’extérieur du Stade de France à Saint-Denis (93).

Ils ont attendu le départ des ambulances et l’évacuation des derniers blessés vers les hôpitaux, puis, couverts de leur combinaison blanche et de leurs surchaussures, ils se sont avancés dans ce que leurs collègues du RAID et de la brigade de recherche et d’intervention avaient déjà rebaptisé « l’enfer de Dante ».

Il est plus d’une heure du matin, samedi 14 novembre, au Bataclan. Dans la salle de concert parisienne, l’odeur de mort et la vue des corps sont insoutenables. Les techniciens de la police scientifique, rodés, pourtant, aux scènes les plus macabres, n’ont jamais rien vu de tel. Pas même les équipes parties sur le tsunami, en Thaïlande, en 2004. Quelque quatre-vingts personnes ont été tuées par les terroristes et restent à identifier.

“Chaque centimètre carré de la salle est susceptible de receler un indice qui permettra de conduire aux commanditaires ou à d’éventuels complices”

Avec un soin extrême, trente policiers scientifiques en binôme avec un officier de police judiciaire commencent le travail de relevé. Il durera toute la nuit pour ne s’achever qu’en début de soirée, le samedi 14. Rien n’a bougé, rien n’a été déplacé depuis le départ des secouristes. Chaque centimètre carré de la salle est susceptible de receler un indice qui permettra de conduire aux commanditaires ou à d’éventuels complices. Les lieux sont quadrillés. Chaque fonctionnaire s’est vu attribuer un carré. Le travail d’identification des victimes est mené de concert. La plupart sont vite reconnues mais, il aura fallu plus de quatre jours pour identifier les derniers corps qui restaient en attente.

Des conditions hors normes

La tâche est fastidieuse. Toute la difficulté est « d’arriver à conjuguer la grande attente des enquêteurs, avec une volumétrie hors normes, sans remettre en question la rigueur de la procédure », explique Frédéric Dupuch, le directeur de l’Institut national de police scientifique (INPS). La rapidité de l’enquête et les conditions exceptionnelles dans lesquelles elle est menée ne doivent pas occulter le fait qu’un procès se tiendra d’ici quelques années. « Il ne s’agirait pas qu’un avocat, ou un expert, mette en cause la procédure quand tout le monde aura oublié les conditions hors normes dans lesquelles se sont déroulés les relevés. »

Le même souci de précision guide les équipes envoyées rue de Charonne, au Stade de France, devant Le Petit Cambodge et Le Carillon. Au total, une centaine de techniciens de la police scientifique ont été rappelés en urgence. Certains arrivent de Lyon. Chaque indice prélevé est aussitôt placé sous scellés et envoyé aux laboratoires pour analyse.

L’identification des kamikazes est, elle, plus difficile. Trois jours après les événements, deux d’entre eux sont toujours inconnus. Les terroristes n’avaient pas de papiers sur eux. Leurs corps ne sont plus que chairs dispersées. L’identification d’Ismaël Omar Mostefaï a été possible grâce à l’analyse d’un bout de doigt. Une seule goutte de sang suffit à faire parler un ADN, mais pour confronter ces indices au profil des 3,5 millions de personnes enregistrées sur le fichier des empreintes digitales ou à celui des 2,5 millions de personnes listées sur celui des empreintes génétiques, il faut qu’ils aient été mis en cause dans une enquête judiciaire. Des analyses toxicologiques seront également effectuées sur le corps des assaillants pour savoir s’ils ont avalé des stupéfiants avant de passer à l’acte.

Près de 500 prélèvements déjà analysés

Les corps des victimes ont tous été transférés à l’institut médico-légal de Paris, où des médecins se relaient depuis samedi pour pratiquer des autopsies. Les techniciens qui les épaulent assistent à trois ou quatre opérations par jour, quand, d’ordinaire, ils n’en subissent qu’une, ou deux, grand maximum, par semaine. C’est lourd, très lourd. Mais déterminer la manière dont la balle est entrée dans le corps, définir la direction du tir, aidera les enquêteurs à reconstituer le fil des événements au plus près de la réalité.
Les légistes de l’Institut reçoivent aussi les familles qui viennent reconnaître un père, une mère, un fils, une compagne, un fiancé. La plupart des victimes avaient une carte d’identité sur elles ou étaient physiquement reconnaissables. Pour celles dont le visage a été déformé par des tirs, l’institut demande à la famille d’apporter un peigne, une brosse ou des radios dentaires pour les comparer avec les échantillons ADN prélevés sur le corps. Pour les personnes qui n’avaient pas encore été identifiées, les enquêteurs ont fait le tour des préfectures et des sous-préfectures pour essayer de comparer les empreintes digitales. Ce n’est qu’une fois toutes ces opérations médico-légales terminées que les corps seront rendus aux familles.

Contrairement à un crash d’avion ou à un accident de car, la police n’avait pas la liste fiable et précise des fans des Eagles of Death Metal qui devaient se rendre au concert, vendredi. Encore moins celles des personnes qui avaient simplement décidé de se retrouver pour prendre un verre, ce soir de fin de semaine. Les enquêteurs ont donc contacté, donc, les témoins et les rescapés pour savoir avec qui ils se trouvaient, à qui ils avaient donné rendez-vous. Le recensement complet des victimes a pris plusieurs jours. Un numéro vert a été mis en place. En Thaïlande, pour le tsunami il avait fallu plus de trois semaines pour établir la liste entière des personnes disparues.

Pendant que les familles viennent se recueillir sur les dépouilles de leurs proches, les enveloppes de scellés et les sacs plastiques s’amoncellent sur les paillasses des laboratoires de Paris et d’Ecully, dans le Rhône. Près de 500 prélèvements ont déjà été analysés. C’est gigantesque. A titre de comparaison, 1 900 prélèvements ont été analysés après les attentats de janvier, mais sur plusieurs semaines. « Et ceci n’est que l’avant-garde de ce qu’on va recevoir dans les semaines à venir », prévient Frédéric Dupuch, le patron de l’INPS. Chaque nouvelle perquisition produit son nouveau lot de pièces à conviction et d’indices susceptibles de remonter la piste d’éventuels complices.

Source : www.lemonde.fr © Emeline Cazi

 

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