Dossier Scheffer

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Dix ans après la première identification de Francisca Rojas par ses traces papillaires, une deuxième affaire va rentrer dans l’histoire de la police scientifique.

Il s’agit de la première identification française effectuée à l’aide de traces papillaires prélevées sur les lieux d’un crime.

Elle est réalisée en 1902 à Paris, et comble de l’histoire, par Bertillon, réticent à l’utilisation des empreintes digitales lors de la signalisation des délinquants.

Le crime du dossier Scheffer

Le 16 Octobre 1902, dans son appartement, le dentiste Auguste Alaux découvre le corps sans vie de Joseph Reibel, son domestique. Les policiers sont alertés et se rendent sur la scène de crime au 157, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. Ils constatent la mort du domestique et la disparition d’objets de valeur. Une vitre d’un médailler est brisée et des objets d’art ont été dérobés. Il n’y a pas de témoin des faits. Cependant, lors de leurs investigations, les policiers découvrent des traces de doigts sur la vitre brisée du médailler.

L’immense succès de l’identité judiciaire

trace digitale schefferBertillon est chargé par le juge d’instruction Jolliot de se rendre sur les lieux et de faire des photographies de l’appartement. Il observe les traces digitales apparentes sur le carreau de la vitrine brisée. Bertillon prélève alors le carreau de la vitrine pour l’étudier au service d’identité judiciaire de la préfecture de police de Paris. Il effectue aussi un prélèvement des empreintes de la victime pour comparaison.

recto de la fiche signalétique de SchefferDe retour au service, les traces sont photographiées, agrandies et comparées avec les empreintes de la victime, mais celles-ci ne correspondent pas. Bertillon observe alors les fiches anthropométriques de son service et trouve une “ressemblance frappante” entre les traces et les empreintes d’un nommé Henri-Léon Scheffer inculpé le 9 mars pour vol et abus de confiance. Dans un rapport daté du 24 Octobre 1902, Bertillon décrit les similitudes entre les traces retrouvées et les empreintes de Scheffer. Il compare la forme centrale des dessins digitaux qu’il décrit comme : des lacets à direction oblique, des sillons en forme d’arcs superposés ou de point entouré dans un cercle. Il compte les sillons entre le centre de figure et le “triangle d’intersection”. Enfin, il observe des particularités communes sur les traces et les empreintes comme des arrêts de sillon ou des sillons bifurqués. Sa conclusion

“il apparaît que les empreintes digitales photographiées par nous sur la vitre brisée dans un des salons de M. Alaux correspondent exactement à celles que le pouce, l’index, le médius et l’annulaire de la main droite de M. Scheffer aurait pu occasionner. La position respective des traces de doigts [] démontrent incontestablement que l’apposition de ces empreintes a été faite après le bris de la vitre”

Henri Léon Scheffer est arrêté le 30 octobre à Marseille et passe aux aveux. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, il meurt au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, le 6 avril 1905.

verso de la fiche signalétique de Scheffer

Le triomphe de Bertillon ?

Alphonse Bertillon - police scientifique scheffer
Alphonse Bertillon

L’histoire retiendra que Bertillon a réalisé la première identification Française en comparant des traces digitales aux empreintes d’un suspect et qu’il est à l’origine de l’utilisation des empreintes digitales comme moyen d’identification. En fait, Bertillon a toujours été réticent à l’utilisation des empreintes papillaires qui étaient concurrentes à son système d’anthropométrie . En 1893, il écrivait “les dessins papillaires ne présentent pas des éléments de variabilité suffisamment décisifs pour servir de base à un répertoire de plusieurs centaines de milliers de cas”. A la préfecture de police, l’apposition des empreintes sur les fiches signalétiques s’est faite difficilement et par étapes. Au départ, seules les empreintes de la main droite sont relevées. Ensuite l’index gauche est rajouté et enfin le principe de la fiche décadactylaire est adopté en 1904, alors que des pays l’utilisent déjà depuis plusieurs années. En 1902, lorsque Bertillon réalise son identification, il retrouve la fiche décadactylaire de Scheffer alors qu’il n’existe aucun classement des fiches. On peut penser qu’il fut servi par la chance ou par les données de l’enquête. En effet, la police découvre assez rapidement au cours de l’enquête que le domestique du dentiste entretient une relation homosexuelle avec le nommé Henri Léon Scheffer. Ce dernier est donc rapidement désigné comme suspect.

Après le rapport de Bertillon, Scheffer passe aux aveux. Mais lors du procès, ce ne sont pas les aveux, mais l’expertise réalisée par Bertillon qui aura le plus de poids dans la condamnation. Les jurés sans forcément bien comprendre les explications adoptent les conclusions de Bertillon. Cet apport de la science lors d’un procès est un énorme progrès et à l’ère du positivisme, ce dossier connait un succès retentissant.

Finalement, si cette affaire fait naître l’espoir d’une police infaillible, elle ouvre aussi dangereusement la voie à d’autres expertises qui peuvent être réalisées avec plus ou moins de rigueur (comme lors de l’affaire Dreyfus quelques années plus tôt).

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