Seine de crimes – Interview d’un médecin légiste

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2007
Seine de crimes – Les Editions du Rocher ont publié le 22 janvier 2015 un ouvrage intitulé Seine de Crimes sous la direction de Philippe CHARLIER.

La Préfecture de Police de Paris conserve, dans ses archives, la mémoire de la criminalité parisienne depuis le Moyen-Age. L’utilisation de la photographie, dès le milieu du XIXe siècle, va fixer de façon pérenne meurtres, crimes, assassinats, suicides, accidents, attentats. C’est avec Bertillon que l’art photographique va connaître son heure de gloire, avec, dans le même temps, l’invention d’une criminologie moderne.

Ces clichés photographiques sont autant de fenêtres ouvertes sur les crimes du passé bénéficiant dorénavant d’un réexamen à l’aune de la médecine légale moderne. Près d’une centaine de planches ont été choisies pour leur caractère didactique, et sont l’objet d’une description complète. Huit essais clôturent cet ouvrage, pour mieux cerner le contexte de cet art mis au service de la Justice, dans sa lutte perpétuelle contre « l’industrie du crime».

Seine de crimes Philippe CHARLIERCet ouvrage d’une qualité rare, nous présente une centaine de photographies de scènes de crimes du passé. Ces photographies tirées du XIXe siècle et de la première moitié du XXe sont accompagnées par des explications détaillées à la fois scientifiques et historiques, qui font de cet ouvrage passionnant une référence en la matière que nous nous devons de saluer. Ce patrimoine photographique recueilli par l’auteur rend notamment hommage à Alphonse Bertillon qui a profondément marqué le monde judiciaire avec la mise au point de la mesure anthropométrique mais aussi avec une méthode de relevé précis des scènes de crimes.

Docteur en médecine (médecine légale), docteur ès-lettres (EPHE, IVe section) et docteur ès-sciences (Paris 5), Philippe CHARLIER est également chercheur au Laboratoire d’Ethique Medicale et de Médecine légale et praticien hospitalier. A l’occasion de la sortie de Seine de crimes, il a accepté notre invitation et répondu à un grand nombre de nos questions.

  • Seine de crimes regorge de photographies de scènes de crimes et d’autopsies issues des archives de la Préfecture de Police de Paris dont certaines ont plus de 140 ans ! Qu’est-ce qui vous a poussé à rassembler ces clichés de morts suspectes dans cet ouvrage ?

    Philippe CHARLIER : Dans Seine de crimes, ce qui m’intéressait, c’était d’adopter un double regard. Le premier regard, avant tout professionnel, est celui du médecin légiste. Je me suis intéressé particulièrement à ces photographies parce que je me suis dit que l’on pouvait continuer à les exploiter. Elles sont de tellement bonne qualité et précises, provenant de dossiers en grande partie non anonymes, que selon moi, on pouvait encore apporter un regard médico-légal sur ces scènes de découverte de cadavre du passé. Il y a donc un intérêt scientifique. Le deuxième regard est cette fois-ci anthropologique car je me disais qu’il pouvait être pertinent d’utiliser ces photographies de scènes de crimes sous un angle didactique. Qu’est ce que ces photographies nous apprennent sur la technique ? sur ces gens ? Qu’est ce qu’elles nous apprennent sur les policiers ou les gendarmes de cette période ? Il s’agit véritablement de ce double regard que je vous expliquais. En plus de cela les photographies sont belles sur le plan technique évidemment mais également sur le plan esthétique, même si ce n’est pas leur but premier.

“Ces photographies sont utiles car elles sont didactiques. Elles permettent une transmission d’informations et de savoirs”

  • Articulé en deux temps, Seine de crimes, propose une première partie photographique, plongeant le lecteur au milieu de nombreuses scènes de crimes datant de 1871 à 1937. La seconde partie, quant à elle, composée de huit essais dédiés au monde judiciaire, pose de réelles questions d’ordres éthique, sociologique et même philosophique. Pourquoi une telle articulation ?

    Philippe CHARLIER : Peu importait le sens et l’ordre de présentation des photos et du texte. Il ne fallait pas que les photos soient présentées toutes seules car il ne s’agit pas d’un livre d’art. Derrière ces photographies de crimes, il y a « des patients ». Je suis médecin donc je les appelle « des patients », ce sont des êtres humains qui ont vécu, qui ont souffert et qui sont morts. Il m’était donc impossible de publier des photographies brutes, sans un corpus de texte qui les mette en perspective, ni de ne pas expliquer pourquoi on publiait ces photos.

    Le premier de ces huit essais se concentre sur la question « Est-ce que l’on a le droit de publier ce livre ? Est-ce que ce livre est réalisable ? ». Répondre à ces interrogations n’était pas si évident. D’une part parce que la quasi totalité des photographies sont nominatives et comportent des adresses précises. D’autre part, en raison du fait que certains descendants soient potentiellement encore en vie, il a fallu se renseigner non seulement en terme de droit, mais également en terme de moralité concernant le critère licite ou non de la publication de ces photos. Après une réflexion commune avec l’ensemble de mes collègues médecin-légistes, législateurs et autres, nous sommes arrivés au constat qu’effectivement ces photos étaient largement publiables pour deux raisons principales. En premier lieu parce qu’il s’agit d’affaires classées pour lesquelles aucun problème lié à l’instruction, notamment, ne se pose. En second lieu, parce qu’il s’agit d’affaires anciennes dont les clichés n’ont pas de patrimonialité. Il s’agit en effet, de clichés qui ont déjà été montrés en Cour d’Assise pour la plupart et certains ont même été publiés sous la forme de photogravures dans des journaux. Ce sont donc des photos qui ont déjà été diffusées et pour lesquelles il n’existe pas conséquent aucun obstacle juridique, ni même de problème lié à la moralité, concernant leur publication.

     

  • Pieds Jean Roose seine de crimes

    Cette photographie des pieds de Jean Roose illustre les progrès de la police scientifique. Les parties teintées en rouge indiquent «l’emplacement des particules de sang» de la victime.

    Ces photographies de scènes de crimes et d’autopsie sont utiles car elles sont didactiques. Elles permettent une transmission d’informations et de savoirs. Il existe ainsi incontestablement une utilité de ces corps morts au service des vivants. C’est pour cela que l’on traite ces clichés avec un énorme respect. Je n’ai d’ailleurs volontairement pas sélectionné certains clichés qui me semblaient trop « crus » ou d’autres dont les corps apparaissaient trop dénudés. J’ai donc opéré certains choix, toujours dans un double intérêt didactique et informatif. Mon but n’était pas de faire un ouvrage “trash”. Je ne vous cache pas qu’il s’agit d’un livre de recueil de scènes de crimes et le lecteur sait très bien ce qu’il va trouver à l’intérieur. Néanmoins, il ne s’agit pas ici de publier des cas extrêmes. Certains de ces clichés sont d’une qualité remarquable et peuvent être considérés comme des photographies d’art, susceptibles d’être exposées au Musée d’Orsay. Cependant, il faut garder à l’esprit que derrière chaque photographie se trouve un patient, une victime.

“Il faut avoir à l’esprit que derrière chaque photographie se trouve un patient, une victime”

  • Dans quelques semaines sortira votre nouveau livre, Ouvrez quelques cadavres : une anthropologie médicale du corps mort, que nous réserve ce nouvel ouvrage ?

    Philippe CHARLIER : Il s’agit en réalité de la publication de ma Thèse de Sciences qui était une thèse d’éthique sur le statut du corps mort. Dans cet ouvrage, je garde toujours ce double regard, celui de la médecine légale et de l’anthropologie. Je me refuse de faire la différence entre l’anthropologie physique, c’est-à-dire l’étude du squelette et l’anthropologie sociale, c’est-à-dire l’étude du comportement du genre humain. Pour moi, il existe une continuité permanente entre ces deux notions.

    photographie metrique du cadavre seine de crimes
    Les mains liées, les pieds attachés, Monsieur Falla a trouvé la mort au bord du lit, le 27 août 1905, dans son appartement du 160, rue du Temple. Ses jambes dressées ne semblent pas toucher le sol, en raison de la rigidité cadavérique

    Dans cet ouvrage, les questions auxquelles je tente de répondre en tant que praticien du corps mort sont : “Sachant que le policier scientifique et le médecin légiste travaillent tous deux sur les corps humains, qu’ont-ils le droit de faire ?” “Jusqu’où peut aller notre curiosité ?” ” Au-delà de quelles limites faut-il s’arrêter ? “. Ces interrogations se posent aussi bien lors d’une autopsie médico-légale que lors d’une autopsie scientifique. Cette réflexion prend également tout son sens lorsque l’on travaille sur l’étude d’une tête Maorie qui va être restituée à la Nouvelle-Zélande. Lorsque l’on procède à des fouilles archéologiques et que l’on doit exhumer un cimetière protestant du XVIIe siècle, devons-nous conserver ces squelettes dans une réserve archéologique ou est-ce-qu’il faut les ré-inhumer à proximité du lieu de leur découverte ? Et si oui, devons-nous procéder à une cérémonie funèbre ou non ?

    Concernant la tête d’un Roi de France, Henri IV pour ne pas le nommer, identifiée il y a quelques années, de nombreuses questions se sont posées quant à l’avenir de ces restes humains et en particulier celle de savoir s’il fallait la ré-inhumer après étude ou pas. Cela n’est pas si évident.

    Voilà le genre de questions auxquelles j’essaie de répondre dans près de 250 pages et après avoir interrogé des gens de spécialités complètement diverses. Pour essayer d’améliorer la loi sur la position morale ou éthique du corps mort, je suis allé interroger par exemple un papou de Papouasie en Nouvelle-Guinée, une communauté bénédictine de Flavigny en Bourgogne, ou encore une Koumari, c’est-à-dire une petite déesse vivante de Katmandou, considérée comme une déesse jusqu’à ce qu’elle ait ses premières règles (là elle reprend son statut d’être humain). Je suis également allé interroger un moine Zen du Japon, Kaneda, qui a traité des gens se disant être victimes de possession ou de fantômes après le tsunami de 2011. Je ne m’interroge pas sur la véracité de ces cas de possession. Ce qui m’intéresse c’est la manière dont les gens ressentent l’ambiance permanente de la mort et transforment ce sentiment en troubles psychiatriques pour certains ou en état de possession pour d’autres. Je ne juge absolument pas. Là encore, ce qui m’intéresse c’est le regard porté a chaque fois sur ces différentes possibilités. On sort en quelque sorte du spectre français, métropolitain, avec ce regard mosaïque et cela permet de beaucoup mieux appréhender ce qu’est réellement l’être humain.

“Quand on fait Médecine, c’est une ouverture du champ des possibilités”

  • Médecin légiste, maître de conférence, chercheur, paléopathologiste, anthropologue, auteur de nombreux livres et tout cela à seulement 37 ans ! Quel est le secret de ce scientifique pluridisciplinaire ? Où-est-ce que vous vous imaginez dans 10, 20, 30 ans ?

    Philippe CHARLIER : Je n’espère pas sur une table d’autopsie !! (rires) J’ai effectivement 37 ans et je ne dors pas beaucoup la nuit. J’ai la chance d’avoir une famille qui m’aime et que j’aime et tout cela est parfaitement équilibrant. Je considère que la médecine en général ouvre un grand nombre de possibilité.

    Quand on fait Médecine, c’est une ouverture du champ des possibilités. Avec au moins mes deux casquettes de médecin légiste et d’anthropologue, cela me permet d’aller explorer divers horizons et pouvoir je l’espère, faire des ponts entre les sciences fondamentales et les sciences humaines. Cet échange et cette interdisciplinarité que vous avez décrit dans votre question est pour moi un enrichissement plutôt qu’une dispersion.

 


  • En quoi consistent la paléopathologie et l’anthropologie médico-légale ?

    Philippe CHARLIER : L’anthropologie médico-légale est l’étude médicale d’éléments du squelette découverts dans un contexte médico-judiciaire. Cela concerne principalement des restes anonymes ou des momies.

    La paléopathologie est l’étude médicale de restes humains anciens retrouvés dans un contexte archéologique et conservés dans un musée ou sous la forme de reliques dans une église.

  • Vous avez participé à des recherches historiques extraordinaires, notamment sur l’étude des restes de Richard Coeur de Lion, d’Agnès Sorel, de Diane de Poitiers, des fausses reliques de Jeanne d’Arc où encore de la tête d’Henri IV. Comment expliquez-vous cet intérêt à faire parler les morts célèbres ?
    Ce cliché est celui du petit Jules Jacques Schoënen, âgé de 6 ans, assassiné le 25 février 1881. Ses mains ont été ligotées dans le dos avec un tissu blanc. Son pantalon a disparu. C'est l'une des plus anciennes photographie jointe à un dossier criminel.
    Ce cliché est celui du petit Jules Jacques Schoënen, âgé de 6 ans, assassiné le 25 février 1881. Ses mains ont été ligotées dans le dos avec un tissu blanc. Son pantalon a disparu. C’est l’une des plus anciennes photographie jointe à un dossier criminel.

    Philippe CHARLIER : Le but n’est pas de s’emparer d’un cas célèbre ou de détourner leur célébrité sur ma personne, loin de là. Le but est qu’en médecine légale, nous n’avons pas le droit de faire de l’expérimentation. Quand on reçoit un corps afin de pratiquer une autopsie médico-légale ou un squelette pour une expertise médico-judiciaire anthropologique, nous n’avons pas le droit, en l’état actuel de la loi, d’expérimenter. Du coup, pour expérimenter en anthropologie, on utilise des cas archéologiques. Moi ce qui m’intéresse sur les cas archéologiques que vous décrivez et sur ces personnages historiques, c’est l’utilisation de cas bien documentés pour lesquels on dispose d’une identité présumée, de portraits, de descriptions historiques qui nous orientent sur une maladie, une amputation d’un membre ou d’un lieu de décès avec des symptômes cliniques. Ces restes humains sur lesquels je travaille sont parfois infimes. Par exemple, pour le cas de Richard Cœur de Lion, nous avons travaillé sur une tête d’épingle en quantité. Ces expérimentations dont je vous parle, nous permettent de tester, de développer et de valider des techniques d’identification individuelle. Elles permettent également d’établir des diagnostics rétrospectifs, c’est à dire de mettre des causes et des circonstances sur la mort ou l’état pathologique sous-jacent. Ce sont mes cobayes, ce sont ces corps là sur lesquels nous travaillons mon équipe et moi, pour tester et faire de l’expérimentation en anthropologie médico-légale. Il arrive parfois que le hasard fasse qu’il s’agisse de personnes célèbres et qu’effectivement les médias s’emparent de ces cas parce que cela leur parle, mais ce n’est vraiment pas la majorité des patients que je peux avoir, bien au contraire.

“La réalité d’un arbre généalogique ne se superpose pas forcement avec la réalité d’un arbre génétique”

  • Existe-t’il des difficultés supplémentaires lorsque l’on analyse des corps très anciens par rapport à des corps récents ?

    Philippe CHARLIER : Contrairement à la Police Scientifique, nous n’utilisons l’ADN uniquement en vue de déterminer le sexe du patient. En outre, sur des cas anciens, nous n’utilisons que très peu l’analyse ADN, tout simplement parce que la véracité d’un arbre généalogique sur des cas historique n’est pas évidente. Par exemple, pour Henri IV ou Richard cœur de Lion, tellement de générations séparent l’individu supposé de notre époque qu’il existe forcement des aberrations. En effet, la réalité d’un arbre généalogique ne se superpose pas forcement avec la réalité d’un arbre génétique. Vous le savez, environ 8% des personnes n’ont pas pour père biologique le père qu’elles croient être et cela peut monter jusqu’à 14% en cas de famille nombreuse, et tout cela est estimé par génération, alors je vous laisse imaginer sur une vingtaine ou une trentaine de générations ce que cela peut donner…

    cadavre Seine de crimes
    La méthodologie employée pour photographier les cadavres est très précise. Le corps mort est étendu sur un brancard.

    A fortiori pour des personnages historiques, donc pour des personnages pour lesquels on a intérêt à allonger la branche pour pouvoir récupérer soit des biens, soit une aura ou une importance sociale, on n’a pas le droit de se tromper. J’ai beaucoup de respect pour les généalogistes et les généticiens, et je pense qu’à une courte distance cela peut très bien marcher. Quand on a un résultat positif, cela a un vrai sens. Or, lorsque l’on a un résultat négatif, cela n’est pas interprétable justement parce qu’il y a cette ambiguïté. Je suis beaucoup plus morphologiste, je préfère par exemple, une cicatrice à tel endroit, une dent perdue à tel endroit, un sexe, un âge de décès, un masque facial ou un moulage mortuaire que je pourrai comparer avec un crâne. Tout cela est palpable et me parle beaucoup plus à moi médecin, car je trouve cela beaucoup plus fiable.

    Attention ! Une identification médico-légale n’est pas exactement superposable avec une identification médico-historique de part sa méthodologie. On ne possède pas de photographie d’identité, d’empreintes digitales, et l’ADN est à prendre avec beaucoup de précaution pour les raisons évoquées précédemment. Il y a donc des petites différences qu’il faut prendre en considération. Un portrait n’est par exemple, pas forcement représentatif de la réalité. Il est possible de masquer une boucle d’oreille, c’est à dire un lobe percé, parce qu’il peut s’agir d’une appartenance à un clan et qu’il est impératif de devoir masquer pour des raisons politiques. On peut encore représenter une personne avec son profil gauche parce qu’elle présentait une lésion sur l’aile droite du nez qui ne sera donc pas visible. Il faut vraiment faire attention car le portrait n’est pas une réalité.

  • Est-ce que les pratiques liées à l’autopsie ont sensiblement évoluées depuis l’époque d’Ambroise Paré (XVIe Siècle) ?

    Philippe CHARLIER : Quasiment pas ! On opère quasiment de la même façon. Il y a eu des petites améliorations et des variations notamment sous l’influence allemande, Virchaux en l’occurrence, depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. Mais en pratique c’est quasiment la même chose. Étonnamment, on fait les rapports médico-légaux un peu de la même façon pour les coups et blessures. Ambroise Paré qui était une personne extraordinaire, pragmatique et doté de bon sens breton fut le premier a donner des modèles de certificats afin de déterminer si une lésion traumatique était en rapport ou non avec la mort.

“L’autopsie virtuelle est extrêmement performante […] mais cela ne remplacera pas l’autopsie”

  • L’autopsie virtuelle est-elle, selon vous, une évolution logique de la médecine légale ou une réelle révolution ? Quelles avancées technologiques, liées à votre métier, imaginez-vous dans l’avenir ?

    Philippe CHARLIER : C’est une révolution logique sans vouloir esquiver (rire). Cependant cela ne remplacera jamais la médecine légale au sens de l’autopsie. L’autopsie ne peut pas mourir parce que la virtopsie (autopsie virtuelle), est un complément de l’autopsie et se fait généralement avant cette dernière. Elle permet notamment d’observer des zones difficilement accessibles ou des zones qui risquent d’évoluer lors de l’éviscération. L’autopsie reste indispensable car on a besoin de l’œil nu pour juger une coloration, une pigmentation, une tonicité d’un tissu que l’on prend entre les doigts ou tout simplement pour effectuer des prélèvements (histologiques, toxicologiques). Quand on veut par exemple récupérer le bol alimentaire gastrique ou de la bile, seule une autopsie nous le permet.

    L’autopsie virtuelle est extrêmement performante et utile. Je pense que bientôt on ne pourra plus s’en passer et qu’il faudra dans quelques temps l’envisager pour la quasi totalité des autopsies. Cependant, elle ne remplacera pas l’autopsie. Il s’agit d’un excellent outil complémentaire mais en soi il n’est pas suffisant.

  • Récemment, il a été autorisé d’établir dans certains cas, un « portrait-robot » à l’aide d’une trace ADN inconnue afin d’en extraire certains caractères morphologiques. Est-il possible d’obtenir un portrait robot à partir d’un crâne humain datant de plusieurs siècles et si oui, comment ?
    Reconstruction faciale Henri IV Seine de crimes
    Reconstruction faciale de la tête d’Henri IV

    Philippe CHARLIER : Sur des cas très anciens, l’ADN est très fragmenté et ne nous permet pas d’obtenir un portrait robot à l’aide de cet outil . On peut cependant procéder à une reconstruction faciale à l’aide d’un crâne. Aujourd’hui, on dispose d’outils de plus en plus précis pour le faire, contrairement à ce qui était réalisable il y a une dizaine d’années. Ainsi, pour la reconstruction du nez notamment, on est beaucoup plus précis qu’il y a 10 ans.

     

  • En quoi les techniques modernes (analyse ADN, toxicologie, imagerie numérique) des sciences criminelles vous aident-elles au quotidien ?

    Philippe CHARLIER : En fait, il s’agit tout simplement de mon métier. Les substrats sur lesquels je travaille sont des restes humains, qui me sont confiés sous la forme squelettisée, momifiée ou encore sous la forme d’organes. Les techniques criminelles que j’utilise au quotidien font partie de mon métier. J’essaie de les exploiter également dans un contexte archéologique, c’est-à-dire sur des restes humains très dégradés, le but étant ensuite de les réimporter dans l’anthropologie médico-légale. Il s’agit véritablement d’un va-et-vient permanent entre l’ostéoarchéologie et l’anthropologie médico-légale.

 

  • Lors de la réalisation de Seine de crimes, vous avez plongé au cœur de très vieilles enquêtes, quel était le contenu de ces procédures ?

    Philippe CHARLIER : Quasiment toutes ces vieilles affaires étaient criminelles ou concernaient des suicides. Il y avait également un dossier “Recherche”, avec des échanges entre collaborateurs de la médecine légale Parisienne, dès Bertillon, jusqu’à des collaborateurs de Suisse, Belgique ou autre.

    La taille des procédures sur ces affaires anciennes était assez variable. Cela allait d’une simple mention derrière une photographie à un carton entier. Certains dossiers sont très anciens et se placent au moment de la naissance de la photographie. Pour certains d’entre eux, je n’ai malheureusement pas pu retrouver la procédure. Pour d’autres, à l’inverse, j’ai pu suivre minute par minute le procès grâce aux journaux et revues judiciaires d’époque. En effet, à l’époque, la presse était très friande de ces procès. On ne peut pas et on ne doit pas négliger l’importance de la presse ancienne dans l’histoire de la médecine légale.

  • Aujourd’hui la levée de corps et l’autopsie sont primordiales dans une enquête criminelle, était-ce déjà le cas à la fin du XIXe siècle ?

    Philippe CHARLIER : Oui. La grande majorité de ces photographies proviennent de scènes de crimes prises dès le départ. Bertillon mais également ses prédécesseurs avaient bien compris toute l’importance d’être présent dès la découverte du cadavre. La levée d’indices, y compris sur le cadavre, se fait sur le lieu-même de découverte et sans délai. Cette pratique est systématique depuis la naissance du code de procédure pénal. La majorité de ces photos sont d’ailleurs prises aux moments initiaux de l’enquête qui se déroule sur place.

“Il ne faut vraiment pas négliger l’intérêt d’une autopsie”

  • Pratiquez vous beaucoup d’autopsies ? Que pensez-vous du recours quasi systématique à l’autopsie de la part du système judiciaire ?
    Attentat contre le président et roi d'Espagne Louvre Seine de crimes
    En plein cœur de Paris, devant la colonnade du Louvre, un attentat est perpétré le 31 mai 1905 contre Emile Loubet, président de la République, et Alphonse XIII, le roi d’Espagne. Le tout nouveau service de l’Identité judiciaire prend ces photos. Au sol, on aperçoit un cheval mort, victime collatérale de l’explosion, des traces de sang sur les pavés

    Philippe CHARLIER : Il faut se méfier de ce qui est trop « beau ». Certains suicides qui ont vraiment l’air de suicides peuvent être des camouflages de crimes ou d’assassinats. Il ne faut vraiment pas négliger le pouvoir et l’intérêt d’une autopsie. L’autopsie n’est pas une mutilation de cadavre et ne doit pas être comprise comme telle par le grand public, la famille ou les ayants droit, mais être comprise comme une recherche absolue de la vérité et une chance supplémentaire mise au service de la justice et de la police pour retrouver un éventuel criminel. Même si cela a tout l’air d’un suicide ou d’une mort naturelle qui sait ? Il y a des morts naturelles où l’on s’est rendu compte qu’un médicament pouvait être incriminé suite à une prise chronique, alors qu’au départ, il s’agissait d’une personne qui faisait tout simplement un jogging et qui était tombée de façon subite. Il y a parfois un tiers qui peut être impliqué sans que cela soit évident au stade initial de l’enquête. A mon sensn, l’autopsie ne doit pas être négligée surtout quand elle est faite avec respect. L’autopsie est une activité médicale, avec des patients que l’on se doit de respecter et de bien traiter.

  • Avec votre profession, vous arrive-t-il d’avoir des cas qui vous touchent personnellement ou qui vous semblent plus difficiles à traiter que d’autres?

    Philippe CHARLIER : Non. Ce n’est pas de la froideur ou du désintérêt mais une distance nécessaire pour juger objectivement les faits. Il est vrai que face à un enfant de 10 ans ou face à une personne âgée, à qui des atrocités ont été faites, on aurait tendance à juger rapidement l’auteur des faits. Cependant, cela n’a aucun sens de le faire et l’on doit s’en interdire absolument. Personnellement, je me l’interdit spontanément sinon je perdrai toute concentration et objectivité. Je pense que cela est également le cas pour les techniciens de scène de crime. On ne fait pas forcement bien son devoir si l’on est perturbé par ses sentiments. La médecine légale, c’est d’abord vaincre ses passions pour rester totalement objectif.

     

    Interview réalisée le 16 février 2015 par www.police-scientifique.com. Copyright ©

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