Ce médecin légiste autopsie les morts de l’histoire

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Philippe Charlier, médecin légiste près de Paris, a une spécialité : il travaille sur les morts du passé. Qu’il s’agisse d’Henri IV ou d’anonymes Grecs de l’Antiquité, il cherche à savoir comment ils sont passés de vie à trépas et quel était leur état de santé. Quand la médecine légale rencontre l’histoire…

À quoi tient une vocation ? Le docteur Charlier réfléchit une demi-seconde. À peine plus. « J’avais 7 ans. Avec mes parents, nous visitions les sites archéologiques de Pompéi et d’Herculanum, près de Naples. Un choc. Ça m’a marqué pour la vie. »

On imagine… Les « moulages » des corps figés par les cendres volcaniques, les maisons romaines si bien conservées, deux mille ans après l’éruption du Vésuve. Il y a là de quoi impressionner un petit garçon… Suffisamment pour nourrir une carrière. Pardon, une double carrière.

Vingt-cinq ans après ces vacances italiennes avec ses parents médecin et pharmacien, le petit Philippe est lui aussi devenu médecin. Allure de jeune homme chaleureux, mots choisis, ton posé, il précise la spécialité qu’il a choisie dès le début de ses longues études : la médecine légale. À la demande de la justice, il autopsie des cadavres pour déterminer les causes de leur mort. « Oui, comme dans Les Experts. En moins glamour qu’à la télé. »

Certains de ses patients – il utilise le mot souvent – sont beaucoup plus vieux que ceux des faits divers… Philippe Charlier est anthropologue. Pour le commun des mortels, disons qu’il étudie les morts du passé. Des anonymes comme ces chrétiens des Ve et VIe siècles de notre ère sur lesquels il travaillait ces dernières semaines, dans un cimetière de Crète ; d’autres beaucoup plus célèbres. Le docteur Charlier a dirigé l’identification de la tête d’Henri IV. Évoquée dans un documentaire sorti l’an dernier, cette véritable enquête policière a valu au légiste une certaine notoriété.

« Je me suis aussi penché sur le cas d’Agnès Sorel. » Cette grande dame, maîtresse du roi de France Charles VII, vécut à la fin du Moyen Âge. « L’examen de sa dépouille a montré qu’elle souffrait de paludisme et qu’elle était infestée par des vers intestinaux. Elle est morte des suites d’une absorption de mercure. Elle en prenait pour éliminer les parasites mais il est possible qu’elle ait été empoisonnée. »

Pour mener ses investigations, « l’expert » dispose des outils de son art : analyses biologiques, imagerie dernier cri – parfois réalisée par sa femme, radiologue -, examens cliniques… Exactement comme s’il s’agissait d’une personne morte la semaine dernière. « Mais avec quelques handicaps,sourit le praticien. Bon nombre de tissus ne résistent pas au temps… »

histoire henri IV reconstitution faciale
À droite : image reconstituée par Philippe Froesch (Visualforensic) à partir de la tête momifiée d’Henri IV retrouvée par Stéphane Gabet et authentifiée par l’équipe du Dr Philippe Charlier. © DR

Les Gaulois souffraient d’arthrose

Dans de nombreux cas, ne restent que les os. Comme ceux que Philippe Charlier présente à des colloques. Lors d’un congrès de rhumatologues, il y a quelques mois, il en a fait circuler dans l’assistance pour expliquer que les contemporains de Vercingétorix souffraient d’arthrose et de déformations osseuses, « parce qu’ils utilisaient des outils mal conçus pour les travaux agricoles ou artisanaux ».

Le « Sherlock Holmes des nécropoles » ne passe pas ses journées au-dessus d’une paillasse de labo, à examiner sous toutes les coutures le coeur mal formé d’une sainte italienne du XIIIe siècle ou une tête maorie du XIXe siècle. Il lit aussi beaucoup.

Les étagères du minuscule bureau du CHU de Garches, en banlieue parisienne, où il exerce, débordent de livres d’histoire ou d’auteurs anciens : Aristote, Homère, un manuel égyptien de magie, une encyclopédie du christianisme antique… « Mon travail est toujours le fruit d’une collaboration avec des archéologues, des historiens. Il s’agit de faire cohabiter la médecine et l’histoire, pour savoir comment mes patients sont morts et, ce qui tout aussi important, quel était leur état de santé au moment de leur décès. »

À ce moment de la conversation, un doute s’installe : alors que les besoins médicaux sont si criants, que tant de maladies restent à vaincre, a-t-on besoin de savoir comment est morte une princesse du Moyen Âge ? Les compétences du « légiste de l’histoire » ne seraient-elles pas plus utiles aux vivants d’aujourd’hui ? Poli, mais ferme, le médecin rétorque : « Bien sûr que la médecine légale est utile aux vivants. À la justice, aux familles et à la science médicale. Oui, elle sauve des vies ! Quant aux travaux historiques, pourrions-nous nous passer de recherches sur tous les aspects de la vie des êtres humains qui nous ont précédés ? »

Convaincu, on évoque alors une fascination pour la mort. Réponse foudroyante du jeune homme : « Aucune ! Je fais parler les morts mais je ne fuis pas les vivants : je donne des cours, j’ai une vie de famille épanouie, même si mon métier est très atypique : après tout, je découpe des corps morts. »

Publié par Alain GUYOT le 17/04/2012 © www.ouest-france.fr

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