L’Affaire Grégory : 30 ans après …

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Il y a très exactement 30 ans, le 16 octobre 1984, la découverte du cadavre d’un petit garçon de 4 ans, jeté pieds et poings liés dans les eaux froides de la Vologne, marquait le début de « l’Affaire Grégory ». Ce jour-là, sauveteurs et curieux ont piétiné les bords de la rivière, compromettant à jamais l’élucidation du meurtre. « Un électrochoc » pour des générations d’enquêteurs qui a permis l’émergence d’une véritable police technique et scientifique.

À l’époque, « tout était fondé sur l’aveu et le témoignage », résume Alain Buquet, auteur d’un « Manuel de criminalistique moderne ». Les laboratoires de police étaient tombés en désuétude et seule une centaine de personnes étaient formées en France, trois fois moins qu’au Royaume-Uni. « Ces techniciens se contentaient de relever des empreintes digitales, de faire un peu de balistique, de mesurer le taux d’alcool dans le sang. La préhistoire », se souvient Patrick Rouger, ex-directeur de la police technique et scientifique (PTS) au service régional de la police judiciaire de Toulouse.

C’est dans ce contexte que le cadavre de Grégory Villemin est retrouvé, ligoté dans cette rivière des Vosges. Pour Alain Buquet, le travail que feront alors les enquêteurs a été « une quintessence de tout ce qu’il ne faut pas faire ». Très peu de constatations sont réalisées – les gendarmes oublient de relever les traces de pneus près de la rivière – et de nombreux prélèvements, mal collectés, s’avéreront inutilisables. Pire, aucun périmètre de sécurité n’est installé. Les lieux sont piétinés par des dizaines de badauds et journalistes qui détruisent de précieux indices. Enfin, lors de l’autopsie, l’eau dans les poumons de l’enfant n’est pas analysée : on ne saura jamais si Grégory a été tué avant d’être jeté dans la rivière ou s’il est mort noyé.
Ce fiasco révèle le manque criant de formation des enquêteurs. L’affaire Grégory fut « un électrochoc nécessaire dont nous avons tiré et tirons encore les enseignements », souligne le général Jacques Hebrard, commandant du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale.

Le « mégot de cigarette »

Côté police, dès 1985, le ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe, crée une sous-direction de la PTS au sein de la police judiciaire. L’Institut national de police scientifique et ses six laboratoires (à Paris, Lyon, Lille, Marseille et Toulouse) sont radicalement transformés. « Le budget des labos a été multiplié par 20 entre 1985 et 1995 et des dizaines de fonctionnaires ont été recrutés », note Patrick Rouger.
Pour la gendarmerie, une section technique d’investigation criminelle voit le jour en 1987. Elle deviendra l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale : 220 gendarmes triés sur le volet et spécialisés dans les domaines les plus divers : biologie, balistique, incendie-explosion, entomologie, informatique, électronique, microtraces…
Les laboratoires disposent de matériel très performant comme le microscope électronique à balayage qui grossit jusqu’à 300.000 fois et permet de révéler des particules de tirs, fibres ou terre. Sur le terrain, les équipes sont dotées de combinaisons stériles et de mallettes sophistiquées : sacs, fioles, étuis, pinces, poudre, boîtes étanches, pulvérisateur pour révéler les traces de sang lavé… Des fichiers sont créés, et sans cesse développés, comme celui des empreintes digitales en 1987 puis, onze ans plus tard, celui des empreintes génétiques. Deux principes sont répétés dans les écoles : figer la scène de crime et effectuer le maximum de prélèvements en un minimum de temps. « Même le mégot de cigarette à 50 mètres d’un corps peut avoir son importance », souligne Patrick Rouger. Trente ans après l’affaire Grégory, la police technique et scientifique est présente partout. Des simples cambriolages aux crimes les plus complexes.

Un fiasco judiciaire, sans vérité 30 ans après

Toujours en cours, l’enquête sur « l’Affaire Grégory » n’a jamais permis de lever le mystère sur l’un des plus spectaculaires naufrages judiciaires et médiatiques du XXe siècle. « Cette affaire, ça a d’abord été du n’importe quoi, en tout cas pas de la justice, avec une pression médiatique d’une violence terrifiante qui inspire l’écœurement », résume aujourd’hui Me Thierry Moser, l’avocat des parents du garçonnet, Christine et Jean-Marie Villemin. Trente ans plus tard, on compte quelque 3.000 articles de presse sur l’affaire, ainsi qu’une cinquantaine de travaux universitaires, un téléfilm et une quinzaine d’ouvrages, dont la liste s’est alourdie, en août, avec la sortie du livre du premier juge de l’affaire, Jean-Michel Lambert.
La presse de l’époque s’était passionnée d’emblée pour ce fait divers, survenu dans un « champ clos minuscule emprisonné par d’ignobles secrets » (Paris Match) gardés par « des paysans pervertis murés dans leur silence » (Le Nouvel Observateur) et des « blondes aux cheveux filasse » (France Soir Magazine). Le fait divers intrigue d’autant plus qu’un corbeau a revendiqué le meurtre en signant sa « vengeance ».

« L’affaire du siècle »

Le cousin du père de l’enfant, Bernard Laroche, est d’abord suspecté : incarcéré, remis en liberté tout en demeurant inculpé d’assassinat, il est finalement abattu d’un coup de fusil de chasse par Jean-Marie Villemin, en mars 1985, lequel sera condamné à quatre ans ferme, en 1993.
L’affaire Grégory, que d’aucuns estampillent comme « celle du siècle », devient alors un feuilleton médiatique quotidien, dont chaque vrai-faux rebondissement, audition, expertise, se joue en léger différé dans la presse, laquelle suit les enquêteurs en caravane dans la vallée de la Vologne pendant près de dix ans.
Dès les premières heures de l’enquête, certains journalistes se font passer pour des gendarmes, cachent des micros dans les armoires, ou « placent des cartons de jouets sur la tombe de Grégory pour fabriquer une belle image », tel que le raconte le père de l’enfant. Dans cet incontrôlable maelström d’informations, l’instruction menée par le juge Jean-Michel Lambert opère un spectaculaire revirement, en juillet 1985, en portant ses soupçons vers la propre mère de l’enfant.
En 1993, après deux services d’enquête et trois juges d’instruction, Christine Villemin est finalement totalement innocentée. « L’ensemble de la presse a imaginé un grand feuilleton en réécrivant mon histoire, ma jeunesse, notre vie de couple et même celle de notre enfant que l’on disait, entre autres, mal aimé », déplorera, en 1994, Christine Villemin, invitée par le Sénat avec son époux pour raconter leur calvaire.
L’affaire sera rouverte deux fois, en 2000, puis en 2008. Sans que rien ne permette jamais d’identifier de nouveaux suspects.

Chronologie

16 octobre 1984 : le corps de Grégory Villemin est découvert.
17 octobre 1984 : ses parents, Jean-Marie et Christine, reçoivent une lettre anonyme : « Ton fils est mort. Je me suis vengé ».
5 novembre 1984 : Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie, est inculpé, après le témoignage accablant de sa belle-soeur, Murielle Bolle. Deux jours après, l’adolescente se rétracte.
4 février 1985 : Laroche est libéré.
29 mars 1985 : Jean-Marie, qui le tient pour le meurtrier, tue Laroche.
5 juillet 1985 : Christine, désignée comme « corbeau » par des graphologues, est écrouée. Elle sera libérée le 16 juillet.
3 février 1993 : non-lieu pour Christine Villemin.
14 juin 2000 : l’enquête est rouverte. Mais l’ADN du « corbeau » sur une lettre sera inexploitable.
11 avril 2001 : l’instruction est close.
3 décembre 2008 : la cour d’appel de Dijon rouvre l’enquête.
22 octobre 2009 : l’expertise des scellés de l’affaire Grégory montre deux ADN sur un timbre. Traces qui se révéleront inexploitables.
SOURCE : © Le Télégramme – Plus d’information sur http://www.letelegramme.fr/france/affaire-gregory-un-electrochoc-16-10-2014-10387423.php

 

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