L’accréditation des services de police scientifique

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15h17 to Paris

Aux alentours de 17h45, 554 passagers sont présents à bord du train 9364 à destination de Paris quand un homme de 25 ans pénètre dans la voiture n°12. Il est torse nu et armé d’un fusil d’assaut Kalachnikov avec 9 magasins chargés d’environ 270 cartouches. Il a également sur lui un pistolet, un cutter et une bouteille d’essence. 6 passagers, confrontés directement à cet homme, tentent de l’arrêter. Des coups de feu sont tirés, les passagers parviennent à maîtriser l’homme lorsque son arme s’enraye.

Ceci est le synopsis du film « 15h17 to Paris » de Clint Eastwood. Il s’agit également du scénario de l’attentat terroriste déjoué du 21 août 2015, à bord du train Thalys 9364 reliant Amsterdam à Paris.

Le terroriste est un jeune homme qui n’est pas muni de ses documents d’identité lors de son arrestation. Pour l’identifier, ses empreintes digitales et son profil génétique sont envoyés à l’ensemble des pays membres de l’union européenne. Le lendemain, l’homme est formellement identifié : il s’agit d’Ayoub El Khazzani, un ressortissant marocain qui résidait en Espagne en 2014 et en Belgique en 2015. Localisé à Berlin, il aurait embarqué pour la Turquie et la Syrie, avant de revenir en France.

L’accréditation pourquoi ?

Dans l’affaire précédente, l’échange de données (d’enquête, dactyloscopiques, génétiques) entres les pays membres de l’Europe ont été indispensables et ont permis d’identifier formellement l’individu. Ces échanges ont aussi permis de déterminer le parcours du terroriste et d’interpeller ses complices. Il est donc impératif que les données échangées soient fiables et ne puissent être contestées : cela passe par l’accréditation des services de police scientifique.

En savoir plus sur l‘organisation de la Police Scientifique.

La lutte contre la criminalité transfrontalière : la nécessité d’un cadre commun

En 2005 sept pays membres de l’Union Européenne signent le traité de Prüm visant à approfondir la coopération transfrontalière en matière de police, notamment dans les domaines du terrorisme, de la criminalité organisée et de l’immigration illégale. Ce traité prévoit l’échange de données génétiques, dactyloscopiques et de données à caractère personnel. Depuis sa mise en place, le traité a été signé par vingt pays membres de l’UE.

Mais cette coopération au niveau européen implique un cadre commun strict. Pour que les échanges de données soient fiables le conseil de l’Europe a exigé (par la décision cadre du 30 novembre 2009) que les différents services de police scientifique européens soient accrédités. Une grande partie de l’organisation de la police scientifique a du être revue au regard de ces nouvelles exigences. En effet, cette décision a été à l’origine d’une nouvelle organisation dans la police scientifique Française avec la création de ce qu’on appelle les « plateaux techniques ».

Pour se convaincre de la nécessité d’une telle décision lourde de conséquence, il suffit de se rappeler certaines affaires qui ont pu donner lieu à des échecs de la police scientifique. On peut par exemple citer la fausse identification de Brandon Mayfield lors des attentats de Madrid en 2004. Le 11 mars 2004, des sacs remplis d’explosifs explosent à bord de trains à Madrid. Suite à la révélation d’une trace digitale sur un sac retrouvé sur les lieux et contenant des détonateurs par la police Espagnole, le FBI identifie formellement un Américain : Brandon Mayfield. Lorsque la police Espagnole compare également la trace retrouvée et les empreintes de Mayfield, les experts espagnols ne confirment pas l’identification faîte par le FBI. Après plusieurs contre expertises et l’identification d’un autre suspect, Mayfield est finalement disculpé et libéré. Que s’est il passé ? A quel moment l’erreur a t-elle été commise ? Pourquoi des experts de différents pays ne parviennent pas à la même conclusion ? Comment prévenir ce genre d’erreur ?

Cette affaire illustre bien le fait que la police scientifique reste faillible et qu’il est nécessaire de tout faire pour éviter ou minimiser les risques d’erreur. La mise en place d’un protocole strict et commun apparaît comme une solution permettant de palier à ce genre d’erreur avec un échange d’informations clair et univoque.

L’accréditation : la mise en place de la Norme ISO 17025

La décision cadre du conseil de l’Union Européenne en novembre 2009 (2009/905/JAI) préconise l’adoption de la norme qualité NR EN ISO/CEI 17025 par les pays membres. Cette norme spécifie les exigences de qualité et de compétence propres aux laboratoires d’analyses. Elle impose une maîtrise de tous les éléments afin de garantir des résultats objectifs et uniformes.

Les exigences techniques de la norme ISO 17025 impliquent:

  • que le laboratoire d’analyse et son matériel soient aux normes (contrôle de la température, accès sécurisé, étalonnage des appareils…)
  • le respect de protocoles précis
  • le suivi strict des produits (quantité, conditions de stockage, date de péremption…)
  • l’habilitation des personnels sur des techniques spécifiques et déterminées

Le respect de cette norme permet d’obtenir une “accréditation”, reconnue internationalement. L’adoption de cette norme par la France signifie l’accréditation des différents laboratoires de révélation de traces papillaires de la police scientifique.

L’accréditation dans les services de police scientifique de la Police Nationale

Il y a encore quelques années la plupart des services d’identité judiciaire (communément appelés services d’IJ) de la police nationale possédaient un laboratoire dans leurs locaux permettant de révéler les traces papillaires sur différents types de supports. Ces laboratoires n’étaient pas toujours aux normes et même parfois vétustes.

Afin de réduire le coût budgétaire d’une remise aux normes de tous ces laboratoires (plusieurs millions d’euros) il a fallu réorganiser le maillage national et regrouper ces laboratoires en « plateaux techniques ». Le directoire de la police technique et scientifique a donc décidé de mettre en place 58 plateaux techniques de la police nationale à travers la France (au lieu d’une centaine de laboratoires).

Ces plateaux techniques sont créés afin de répondre aux exigences de la norme ISO 17025. Sur ces plateaux techniques, des personnes qualifiées et habilitées procèdent à la révélation des traces papillaires en respectant un protocole parfois lourd et long mais permettant d’obtenir des résultats uniformes et donc exploitable en Europe.

Parfois ce sont aussi des sections ou spécialités à part entière de police scientifique qui demandent l’accréditation pour une meilleure reconnaissance. C’est la cas par exemple de la section odorologie accréditée selon la norme ISO17025 en 2016.

Les types de plateaux techniques : PTZP et PTP

Que se cache derrière l’acronyme barbare PTZP ? En fait, deux types de plateaux techniques sont à distinguer :

les plateaux techniques de proximité (PTP) : ils traitent les affaires urgentes, sensibles, criminelles et délictuelles locales. Les services de police sont rattachés à un PTP particulier accessible en moins de 2h de route, sans limite géographique ni structurelle.

les plateaux techniques zonaux et de proximité (PTZP) : ils sont généralement de plus grandes structures, ils traitent toutes les affaires de PTS de masse (la PTS de masse concerne les « petites infractions ») sur l’ensemble de la zone de défense concernée. Les PTZP jouent également le rôle de PTP pour les services de police implantés à proximité.

Cartographie des plateaux techniques de la Police Nationale pour la révélation des traces papillaires par procédés physico-chimiques -État de la réforme au 1er Juin 2018 (en cours)

L’INPS

Les Laboratoires Police Scientifiques (LPS) de Lille, Paris, Lyon, Toulouse et Marseille ont été accrédités par la société Cofrac de la norme ISO 17025. Ils peuvent procéder à la révélation de traces papillaires par des procédés physico-chimique conformément à la norme. Ils sont requis lors de crimes ou délits sensibles ou présentant un caractère d’urgence.

La Gendarmerie Nationale et l’IRCGN

En 1984, Grégory Villemin 4 ans est retrouvé ligoté dans les eaux de La Vologne. Cette énigme criminelle, jamais résolue, a bouleversé l’organisation de la gendarmerie nationale. « L’affaire du petit Grégory » a été un réel séisme au sein de la gendarmerie et a permis une remise en question initiale du fonctionnement de la police technique et scientifique au sein de cette dernière.

Cet électrochoc a conduit la gendarmerie nationale à revoir son protocole de fond en comble pour que les preuves matérielles soient préservées et que les scènes de crime ne soient plus polluées.

Au fil des années la gendarmerie a peu à peu modernisé ses méthodes d’investigation criminelle et notamment de révélation de traces papillaires. Dès 2007, l’IRCGN obtient l’accréditation de la norme ISO 17025. De plus, suite à la décision cadre du conseil de l’Europe en 2009, la gendarmerie a également décidé d’accréditer toutes ses CIC (Cellules d’investigation criminelles) avant la fin de 2017, soit 101 cellules.

Et demain ?

Afin de sécuriser l’apport de preuve au tribunal, il apparaît nécessaire de sécuriser toute la chaîne criminalistique. Pour cela, il faut respecter une méthodologie encadrée et précise qui permettra un suivi de la preuve matérielle depuis la scène d’infraction jusqu’aux résultats.

La présence de pollutions/de contaminations sur la scène de crime (affaire Treiber ou tuerie de Chevaline par exemple) ou la nécessité de travailler de façon méthodique et rigoureuse ont permis de rappeler l’importance de mettre en place une méthodologie stricte de traitement de la scène d’infraction.

Ainsi, l’élaboration d’une norme plus spécifique aux scènes d’infraction est actuellement en cours. Il s’agirait de la norme ISO 17020, relative aux protocoles d’inspection. Cette norme encadrerait notamment : la stratégie d’intervention et de progression sur une scène d’infraction, le prélèvement des traces et indices, l’interprétation des résultats, et l’orientation des prélèvements.

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