L’intelligence artificielle au secours de la police

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Minority Report, un film de Spielberg sorti en 2002

Nous sommes en 2019 et l’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans notre quotidien : elle donne non seulement la parole à nos smartphones mais contrôle désormais nos équipements, gère notre fil d’actualité, cible nos publicités, contrôle automatiquement nos passeports, nous conduit, mais permet également de prédire les futurs crimes ! Vous rappelez-vous de Minority report ? Ce film avec Tom Cruise qui décrit un futur dystopique où les criminels sont arrêtés avant même de passer à l’acte ?! En 2002, date de sortie du film, ce scénario nous paraissait improbable et pourtant de plus en plus de service de police utilisent des logiciels de police prédictive basé sur l’intelligence artificielle.

Qu’est-ce que la police prédictive ?

En théorie, la police prédictive se base sur l’exploitation des algorithmes d’apprentissage machine (machine learning) intégrant des modèles statistiques complexes. Ça parait compliqué comme ça mais plus simplement : il s’agit d’un logiciel permettant de traiter une grande quantité d’informations afin de déterminer où et quand de futurs crimes pourront se dérouler. Certains logiciels prévoient même de donner l’identité du futur auteur et de victimes potentielles.

Les premiers logiciels de police prédictive sont apparus aux États-Unis à la fin des années 90. Le logiciel le plus rependu s’appelle Predpol. Cet outil identifie les zones à risque (hotspot), lieu où le crime a le plus de risque de survenir suivant le modèle statistique utilisé en sismologie. Ce service a convaincu plusieurs dizaines de villes aux États-Unis. Le logiciel compile les données des procès-verbaux, des suivis d’arrestations mais aussi des appels au 911 (le 17 américain). Puis le logiciel va mettre en avant les endroits où les crimes sont susceptibles de se passer afin de « prédire » les lieux à surveiller en priorité. Predpol se concentre sur des lieux et non sur des personnes. Les types d’infractions concernées sont les cambriolages, les vols de voitures et les vols dans les lieux publics.

Captures d’écran du logiciel Predpol : sur la carte de gauche sont encadrés les « hotspots », le tableau de droite compile les informations sous forme de tableaux statistiques.
Captures d’écran du logiciel Predpol : sur la carte de gauche sont encadrés les « hotspots », le tableau de droite compile les informations sous forme de tableaux statistiques.

Twitter, Instagram, Facebook deviennent les nouveaux alliés de la police scientifique.

Détection des futurs criminels

Des logiciels permettent en effet de prédire qui va potentiellement commettre un crime ou être victime d’un tel acte. L’un des plus connus aux États-Unis est l’outil prédictif utilisé à Chicago pour permettre d’identifier des auteurs potentiels d’infractions en se basant sur les casiers judiciaires mais aussi l’analyse de réseaux sociaux des individus. Twitter, Instagram, Facebook deviennent les nouveaux alliés de la police scientifique.

Cet outil, dénommé Strategic Subject List (SSL), est plus communément connu sous le nom de « Chicago Heat List ». Il permet d’établir la probabilité qu’un individu soit engagé dans une fusillade, comme victime ou auteur.

Encore plus proche de nous, nos voisins anglo-Saxons testent actuellement un algorithme de surveillance de masse à base d’intelligence artificielle. Le système, appelé le National Data Analytics Solution (NDAS), utilise une combinaison d’intelligence artificielle et de statistiques pour essayer de déterminer les risques qu’une personne commette un crime avec une arme (blanche ou à feu) ou tombe victime d’un tel acte.

Mais contrairement au film Minority Report, les polices de Chicago et du Royaume-Uni n’arrêtent pas les futurs auteurs potentiels mais offrent à ces derniers des moyens d’encadrement et de soutiens, afin d’éviter tout comportement criminel.

Ces logiciels très prometteurs ne peuvent actuellement pas être mis en place en France, le fait d’étudier des données à caractère personnel est strictement interdit dans notre pays, du fait du non-respect de la vie privée.

L’intelligence artificielle en France

En 2016, la gendarmerie a testé un logiciel appelé Predvol, il s’agissait d’un outil interne expérimenté dans l’Oise et qui avait pour but d’anticiper le vol de véhicules en fonction de la zone géographique. Le logiciel, en se basant sur des données statistiques des 5 dernières années, permettait de mettre en avant les zones à risques afin que les gendarmes puissent se concentrer sur ces zones.

Capture d’écran du logiciel Predvol
Capture d’écran du logiciel Predvol

Malheureusement l’expérimentation n’a pas été concluante, selon les testeurs les calculs ont tendance « à faire ressortir toujours les mêmes spots, les mêmes points chauds aux mêmes endroits ». Autrement dit, il n’apportait pas d’information supplémentaire. Au vu du bilan, cet outil a finalement été abandonné, mais les gendarmes n’en sont pas restés là.

Depuis 2018 un autre logiciel d’analyse prédictive de la délinquance est utilisé en France : Paved. Il s’agit d’un logiciel crée par les gendarmes qui permet d’accéder à une carte de France avec des zones de chaleur correspondant à des cambriolages ou atteintes aux véhicules. Ce logiciel fonctionne avec des données de la police et de la gendarmerie, combinées avec des données socio-économiques (type INSEE). Toutes les données font l’objet d’une anonymisation afin de garantir la protection de la vie privée.

Les autres applications de l’intelligence artificielle

Au cours d’un discours début juin 2018, l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a évoqué l’intelligence artificielle et son utilité pour les forces de l’ordre : “En matière d’exploitation des images et d’identification des personnes, on a encore une grande marge de progression. L’intelligence artificielle doit permettre, par exemple, de repérer dans la foule des individus au comportement bizarre”.

L’intelligence artificielle pourrait également permettre de traiter une large quantité de vidéos, par exemple, si on récupère vingt-quatre heures d’images de surveillance, il faudrait des centaines d’enquêteurs pour les visionner. Mais maintenant avec les progrès de l’intelligence artificielle, nous sommes capables d’identifier qu’il ne se passe rien sur telle séquence, et donc de la passer, ou encore de dire aux ordinateurs de reconnaître un visage.

L’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) travaille sur plusieurs projets d’intelligence artificielle appliquée à la criminalistique, notamment vers tout ce qui est orienté image. In fine, l’intelligence artificielle permettrait de traiter les images, comparer les écritures, lire sur les lèvres et bien plus encore.

En Belgique, un logiciel d’analyse de renseignements criminels basé sur l’intelligence artificielle aide la police à résoudre ses enquêtes, en explorant, entre autres, des pistes sur lesquelles des agents de chair et d’os ne se seraient pas forcément aventurés, faute de temps, de moyens, d’impartialité… En Espagne un logiciel en phase de test permettrait de repérer les fausses plaintes.

Les possibilités d’exploitation de l’intelligence artificielle en matière de police semblent infinies.

Révolution ou invasion ?

En Europe et aux États-Unis nous sommes encore loin du scénario de Minority Report et ses arrestations préventives mais en Chine c’est déjà le cas. Depuis 2016, des arrestations préventives ont eu lieu sur la base de prédiction établie par des logiciels exploitant les big data (mégadonnées). Le gouvernement chinois exploite, entre autres, les images des vidéosurveillances avec reconnaissance faciale, les mouvements bancaires, les données de santé, les connexions WiFi.

De quoi s’interroger sur les problématiques de l’intelligence artificielle quant au respect de la vie privée…

Un article de Didier Porte pour © www.police-scientifique.com , tous droits réservés

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