Archéologue dans un contexte judiciaire : Patrice Georges

0
1532

Spécialiste des pratiques funéraires à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) et commandant réserviste de la Gendarmerie, l’archéo-anthropologue Patrice Georges nous dévoile les coulisses de son métier.

Fils d’un inspecteur de la police Judiciaire, Patrice Georges a d’abord étudié l’histoire puis s’est très vite spécialisé dans la paléoanthropologie funéraire, dans les méthodes scientifiques et techniques en archéologie et l’anthropologie biologique. Dès 1997, son mémoire évoque la modification de surface osseuse d’origine anthropique (traces que l’on peut observer sur les ossements humains). En 2009, il valide un Diplôme Universitaire de Criminalistique à Paris 5. Il soutient une thèse en 2020.

Comment en êtesvous arrivé à travailler pour la Gendarmerie ?

C’est justement à l’occasion de ce dernier diplôme Universitaire de Criminalistique, que j’ai été recruté. A l’époque, pas mal d’acteurs du monde judiciaire participaient à cette formation, avocats, magistrats, gendarmes mais j’étais le seul archéologue et beaucoup se posaient la question de la raison de ma présence. Vers la fin de la formation, un gendarme qui faisait un cours sur la balistique le lendemain est venu me voir en me proposant de présenter mon activité en environ une demi-heure. J’ai donc présenté ma spécialité aux autres intervenants dont plusieurs gendarmes de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). L’importance des fouilles dans le domaine judiciaire et le besoin de nouvelles connaissances de la Gendarmerie à l’époque, m’ont valu d’être recruté en tant que réserviste.

Quels moyens matériels et humains sont utilisés dans le cadre d’une recherche de corps enfouis ?

Dans ce cadre, l’intervention de différents spécialistes avec une méthodologie et des moyens matériels adaptés, dans un ordre prédéfini, est primordiale pour favoriser les chances de réussite.

Aussi, des contraintes opérationnelles peuvent apparaître avec le milieu (urbain, boisé, montagneux). Toutefois, plusieurs techniques non destructives peuvent être utilisées de façon concomitante ou à la suite des unes des autres. Les principales sont les suivantes :

  • le passage de chiens (de recherche de restes humains) d’une équipe cynophile cynophile de la gendarmerie situé à Gramat (Lot),
  • l’utilisation d’un géoradar qui est connu dans le monde des travaux publics comme étant un matériel de détection de réseaux enterrés. L’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale dispose d’un tel outil au département Signal-Image-Parole (SIP)
  • le décapage à l’aide d’une pelle mécanique sous l’œil exercé d’un archéologue permet de mettre en évidence les traces de nature anthropique c’est à dire une modulation antérieure du terrain par une action humaine.
Recherches archéologiques au Nigéria. Cl. B. Poissonnier, Inrap.
Recherches archéologiques au Nigéria. Cl. B. Poissonnier, Inrap.

Des unités militaires, spécialisées dans la fouille opérationnelle, ont récemment apporté leur concours en raison de leur expertise dans la détection des objets métalliques (présents sur ou dans le corps).

Il existe donc de nombreuses méthodes de recherche de cadavres enfouis et il convient de n’en négliger aucune. Chaque technique a ses limites mais celle qui permettra à coup sûr de « fermer une porte », en étant certain de l’absence de creusement est celle du décapage.

Ce qui n’empêche pas de développer d’autres techniques actuellement pour mettre le plus de chances du côté des services d’investigation.

Intervenez régulièrement sur des découvertes de corps ? Quelles affaires vous ont marqué ?

A chaque fois que je le peux et qu’on me le demande ! Je suis intervenu dans des dossiers sensibles couverts par le secret de l’instruction (des affaires médiatiques qui reviennent régulièrement aux premières places de l’actualité)

Je suis aussi intervenu sur l’affaire Amandine Estrabaud, une jeune femme de 30 ans disparue le 18 juin 2013 dans le Tarn. Pendant des semaines, des dizaines d’hectares ont été ratissés. Dans cette affaire, la victime n’a jamais été retrouvée et le principal suspect, Guerric Jehanno, a été condamné pour l’enlèvement, le viol et le meurtre d’Amandine en octobre 2020. A l’issue de ce procès, les avocats ont annoncé leur intention de faire appel.

Il faut d’ailleurs préciser que les recherches de corps restent souvent infructueuses ! Certaines recherches interviennent de nombreuses années après l’enfouissement et dans ce contexte, il est possible que l’assassin lui-même ne se souvienne pas de l’endroit exact avec précision.

Y a t’il d’autres cas ou dossiers qui peuvent nécessiter la présence d’archéologues sur le terrain ?

Du moment que les services de police ou de Gendarmerie suspectent la présence d’un enfouissement (enfouissement de cadavre, cache d’arme, cache de drogue), ils peuvent faire appel à nos services. Le recours a un archéologue expérimenté et l’emploi d’outils tels que la pelle mécanique sont les moyens les plus sûrs pour mettre à jour les fosses de creusement.

Pouvez-vous nous donner un exemple dans lequel vous êtes intervenu ?

J’ai été réquisitionné par exemple dans le casse de la banque de Bessières. Dans cette affaire, des malfaiteurs avaient réussi à s’introduire dans la salle des coffres du Crédit Agricole en creusant un tunnel et en utilisant le réseau d’assainissement. Il y avait eu des travaux à cette époque près du tunnel et l’on suspectait un accès possible depuis la zone de travaux. Je devais donc infirmer ou confirmer cette hypothèse [qui aurait eu pour conséquence de désigner de nouveaux suspects].

Le 'gang des égoutiers'

Le mode opératoire rappelle celui utilisé par l’équipe d’Albert Spaggiari en 1976, qui avait emporté un butin évalué à 50 millions de francs lors du « casse du siècle » perpétré à la Société générale, à Nice.

Le 16 mars 2014, un commando dérobe 2,5 millions d’euros dans la salle des coffres du Crédit agricole de Bessières, près de Toulouse, en creusant un tunnel de 30 mètres de long, en passant par les égouts de la ville. A l’époque, ils utilisent même un wagonnet pour transporter le butin. Les auteurs seront rapidement identifiés et interpellés. Après deux semaines de procès, les cinq leaders du commando sont condamnés à des peines allant de 5 à 10 ans de prison. Présenté comme le cerveau du casse, Pascal Teso, âgé de 48 ans et professionnel du BTP, avait expliqué lors du procès avoir monté ce casse car on lui avait refusé …. un prêt bancaire !

Il y a les cas d’enfouissement criminels, mais il y a aussi les cas de découverte d’ossements dans le sol ou des archéo-anthropologues sont appelés en renfort. Il faut dans ce cas déterminer le type d’ossement (déterminer s’il s’agit d’ossements humains ou animaux) et les dater afin de s’assurer qu’ils n’ont pas une origine suspecte.

Peut-on dater les cadavres lorsque ceux-ci sont à l’état d’ossement ? Comment s’effectue le prélèvement, l’analyse ? A partir de la découverte d’ossements, peut-on déterminer l’âge et le sexe de l’individu ?

Il est possible d’utiliser la datation au carbone 14 pour déterminer l’âge de certains ossements et de prendre en compte le paramètre des essais nucléaires des années 1950 à 1960. La méthode n’est pas précise et ne permet pas de dater des ossements dans un contexte judiciaire. On peut uniquement déterminer si les ossements viennent d’un individu ayant vécu avant ou après 1950 mais pas plus. Cela permet d’ écarter facilement les os d’origine archéologique. A ce titre, l’ensemble des découvertes archéologiques du territoire est cartographié et peut aider à déterminer que la découverte n’est pas criminelle.

Sur les lieux de découverte, la collecte des ossements est toujours un moment délicat tant que l’origine archéologique n’est pas avérée. Dans un cadre criminel, dans le cas d’une autopsie d’un squelette, on lave les os pour enlever tout reste de matière organique et donner à l’anthropologue la possibilité d’en observer toute la surface. En outre, le fait de les passer au scanner, comme c’est systématiquement fait là l’Ircgn, permet d’y déceler éventuellement des corps étranger. L’anthropologue, après en avoir fait l’inventaire, procède à l’identification individuelle du sujet (sexe, âge, particularités).

Pour déterminer le sexe de la personne décédée à partir du squelette, il existe une méthode qui a été publiée dans une revue d’anthropologie qui permet de donner une certitude à 95%. Cela dépend de l’état des ossements du bassin présents et du nombre de mesures. La technique consiste principalement à mesurer l’os coxal, en général plus large pour les femmes. Pour l’âge des enfants, on peut le déterminer avec une certaine précision mais dès que l’on passe sur de jeunes adultes et adultes, c’est plus compliqué. On donne de toute façon toujours les résultats avec des marges d’incertitudes.

© www.police-scientifique.com , tous droits réservés

5/5 - (2 votes)