Preuves scientifiques et erreurs judiciaires

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La preuve scientifique, aussi surnommée « la reine des preuves », est aujourd’hui un élément incontournable de l’enquête judiciaire. Difficile de concevoir aujourd’hui un procès d’assise sans élément matériel rapporté par la police scientifique. Pourtant, sans contester la science mise en œuvre pour détecter, analyser ou interpréter un élément matériel au procès pénal, plusieurs cas démontrent que la preuve matérielle, ou du moins son utilisation, n’est pas infaillible.

Comment les preuves scientifiques peuvent mener à de fausses accusations ?

Le 11 octobre 2019, il est 20h44, « Ils ont arrêté Dupont de Ligonnès » m’annonce mon collègue. Je suis en combinaison blanche en train de passer de la poudre dactyloscopique sur une scène de crime et je tombe des nues « Dupont de Ligonnès ? Où ? » « A l’aéroport de Glasgow… ».  Je ne comprends pas… Comment a-t-il pu se rendre en Ecosse ? Voyage-t-il depuis toutes ces années ? Est-il vraiment en vie ?

Pour ceux qui ne connaissent pas ce fait divers, l’affaire Dupont de Ligonnès, également appelée la « tuerie de Nantes », est l’histoire d’un quintuple meurtre non élucidé survenu à Nantes. Les corps de cinq membres d’une même famille furent retrouvés le 21 avril 2011 enterrés dans le jardin de la maison familiale. Le père de famille, soupçonné des meurtres, Xavier Dupont de Ligonnès, reste introuvable depuis ce jour.

Vendredi 11 octobre 2019 : « Arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès », l’information est largement relayée dans les médias

Et ce vendredi soir, 8 ans plus tard, la police écossaise l’aurait retrouvé, « identifié » par ses empreintes digitales. L’homme aurait subi des opérations chirurgicales le rendant méconnaissable, l’emballement médiatique est total. Le lendemain une équipe de policiers français dépêchée sur place ne confirme pas l’identification, un test ADN est effectué : il ne s’agit pas de Xavier Dupont de Ligonnès ! Perquisitions, interrogatoires, harcèlement par les médias, la vie de G. J. a été bouleversé. Sa seule « faute » : avoir des empreintes digitales « proches » de celles de Dupont de Ligonnès. Mais comment les policiers ont-ils pu se tromper ? Les empreintes digitales permettent-elles vraiment une identification formelle ? Les preuves scientifiques sont au cœur des enquêtes depuis quelques années, mais sont-elles réellement infaillibles ?

Identification par empreintes digitales

En France, le principe d’identification par empreintes digitales est plutôt simple : les experts de la PTS doivent trouver 12 points caractéristiques concordants et aucun point caractéristique discordant entre deux empreintes ou traces papillaires (pour en savoir plus sur les empreintes et la dactylotechnie).

Comparaison des points caractéristiques entre deux empreintes.

Que s’est-il passé ce 11 octobre ?

Il faut savoir que le Royaume-Uni n’a pas les mêmes protocoles pour l’identification des traces ou empreintes papillaires, ils ont une approche holistique se basant sur l’expérience de l’expert, s’affranchissant de standard numérique. Ils n’ont pas besoin d’avoir 12 points concordants, s’ils estiment que ces points caractéristiques sont assez particuliers et discriminants ils peuvent procéder à une identification. Cette approche n’est en aucun cas une mauvaise approche et il faut savoir que d’autres fausses identifications ont déjà été commises avec le standard de 12 points (on peut par exemple citer l’affaire Mayfield). En revanche, cette approche requiert une méthodologie rigoureuse et des experts compétents et parfaitement formés, ce qui a pu faire défaut dans ce cas. De plus, les policiers Écossais n’auraient pas avancé une identification formelle, une fuite vers les médias a provoqué l’un des plus gros quiproquo de cette fin d’année 2019.

Les preuves scientifiques sont-elles infaillibles ?

Tout dépend finalement du type de preuve, à savoir que les preuves scientifiques sont soumises à des probabilités. Lorsqu’un personnel de police scientifique détecte une trace, celle-ci est relevée et analysée afin de tenter de la relier à sa source. Par exemple, est-ce que le verre retrouvé provient de cette vitre? Est-ce que cette trace palmaire a été laissé par cet individu? Pour répondre formellement à cette dernière question, et pouvoir conclure avec une probabilité proche de 100% il faudrait pouvoir tester l’intégralité de la population, ce qui est techniquement impossible.

Pour détecter, récolter et présenter la preuve scientifique de la meilleure façon possible, les scientifiques s’appuient aujourd’hui sur des protocoles rigoureux dans un environnement maîtrisé (laboratoires et personnels accrédités COFRAC par exemple). Pour présenter la preuve devant le jury, les scientifiques utilisent un modèle probabiliste rigoureux appelé «modèle Bayesien». Ainsi, bien que très puissante parfois, la preuve scientifique ne permettra pas d’identifier un individu à 100 %. En revanche elle viendra renforcer les hypothèses en expliquant qu’il est 1 milliard de fois plus probable d’observer cette trace si cet individu l’a laissé plutôt qu’un autre individu. Cette conclusion aura quand même son petit effet !

Certaines preuves matérielles sont donc beaucoup plus « sûres » que d’autres.

Prenons l’exemple des États-Unis, de nombreuses associations se battent pour exonérer les innocents emprisonnés, l’exonération passe souvent par une revue des preuves scientifiques et par des analyses ADN qui n’avaient pas pu être effectuées au moment des faits (l’analyse ADN est une avancée récente datant d’une 30aine d’années seulement). Les chiffres avancés par des associations comme Innocence Project place la preuve scientifique en 2ème position comme motif d’emprisonnement erroné.

Pourcentage de cas exonérés en fonction de la cause responsable de cet emprisonnement

La plupart des cas reposent sur des techniques et méthodes qui étaient acceptées au moment des faits mais qui depuis ont montré leurs limites comme notamment la comparaison des cheveux au microscope, cette technique longtemps admise et utilisée de l’autre côté de l’Atlantique n’est en réalité pas du tout discriminatoire. En effet, en 2015 le FBI a pu prouver que le cheveu d’un mis en cause pouvait « matcher » dans 95% des cas, rendant la technique complètement inefficace et non discriminatoire.

D’autres techniques ont également été abandonnées ou réévaluées (liste non exhaustive):

  • la sérologie (analyse du groupe sanguin) : technique pas assez discriminatoire vu le peu de groupes sanguins différents.
  • la recherche des causes et conséquences d’un incendie: de nombreux éléments comme la peau de crocodile, le verre craquelé étaient considérés comme des éléments issus d’un feu intentionnel, or ces éléments peuvent être observés lors d’un feu accidentel également.
  • les traces de morsures : la comparaison de traces de morsures est toujours une technique utilisée mais avec beaucoup plus de précautions au vu des erreurs commises dans le passé.

Ces techniques largement utilisées auparavant ont prouvé leurs limites lorsqu’en appel les mis en cause furent exonérés grâce, dans la plupart des cas, à des analyses ADN.

Le cas de l’ADN

L’ADN est présentée de nos jours comme « reine des preuves » du fait de son haut pouvoir discriminant. En effet, la probabilité d’une correspondance fortuite (identifier une personne alors que ce n’est pas elle) est très faible avec les protocoles mis en place actuellement. Plaçant l’ADN comme preuve favorite des enquêteurs et magistrats. Les quelques exceptions : jumeaux homozygotes qui ont le même profil génétique, les cas de chimérisme suite à un don de moelle osseuse, n’ont pas réussi à entacher la réputation de LA preuve scientifique par excellence. Invisible, présente quasi systématiquement, elle est le cauchemar des criminels et l’allié des cold cases. L’ADN n’est cependant pas infaillible : ADN partiel, mal prélevé, mal conservé, des protocoles stricts permettent d’éviter les dérives de la star des procès.

Tirons comme leçon que les preuves scientifiques sont des outils puissants des enquêtes et des poursuites pénales mais qu’elles doivent être utilisées avec prudence et rigueur. Ces indices sont là pour orienter, aider les enquêteurs, c’est à l’humain de faire la part des choses et de conclure à la pertinence ou non d’un indice.

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