Jack l’éventreur : Aaron Kosminski est-il « coupable » ?

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Depuis le 08 septembre 2014, le Daily Mail assure que l’homme d’affaire britannique Russel Edwards aidé du biologiste Jari Louhelainen, expert en analyse génétique, a percé le mystère de l’identité de “Jack The Ripper”

La nouvelle est dans de nombreux journaux : Jack l’éventreur a été identifié ! Le mystère de Jack l’éventreur résolu ! L’ADN du tueur parle 126 ans après… Dans un livre publié le 09 Septembre 2014, Russel Edwards explique avoir identifié formellement un immigrant Polonais, déjà suspecté au moment des faits, Aaron Kosminski.

Sur quel objet a-t-on trouvé l’ADN de Jack l’éventreur ? Quelle est la probabilité que cette trace ADN appartienne au suspect ? De nombreuses questions se posent sur la validité et la pertinence d’une telle identification, 126 ans après les faits.

Est-ce la première fois qu’un enquêteur “amateur” identifie Jack l’éventreur ?

Non. Patricia Cornwell avait également affirmé en 2002 être certaine «à 100%» que Walter Sickert, un peintre britannique, n’était autre que le terrible Jack l’Éventreur. L’auteure avait dépensé plusieurs millions de livres sterling dans l’achat de peintures et objets personnels de Sickert pour en venir à cette conclusion. Sans qu’aucune expertise effectuée par la suite ne puisse confirmer définitivement sa thèse.

L’auteur de la révélation (et du livre) est-il crédible ?

Selon ses dires, Russel Edwards enquête depuis 14 ans sur l’éventreur. On peut toutefois avoir des doutes sur la qualité de la conservation de la pièce à conviction lorsque l’on voit sur certaines photos ou vidéos, l’auteur manipuler l’objet incriminé sans gants ou masque de protection. Celui-ci vient de publier le livre “Naming Jack The Ripper” et le journal qui relaie l’information de la sortie du livre, le Daily Mail, est un tabloïd Anglais. La révélation prend donc bien moins de crédit dans ce journal que dans un journal scientifique.

D’où provient la pièce à conviction supportant potentiellement l’ADN du tueur en série ?

Tout commence en mars 2007 quand l’homme d’affaires britannique de 48 ans, Russell Edwards, se décide d’acheter aux enchères un châle qui aurait appartenu à l’une des victimes du tueur, Catherine Eddowes. Le propriétaire du vêtement assure être le descendant de l’un des officiers de police présents à l’époque sur la scène du crime : Amos Simpson. Celui-ci  aurait récupéré le châle pour le donner à son épouse. La pièce de tissu aurait ensuite été transmise de génération en génération sans jamais être lavée.

A l’époque des faits, les indices ou objets prélevés étaient-ils protégés ou faisaient-ils l’objet d’un inventaire ? Peut-on être affirmatif sur la provenance de la pièce à conviction ?

On ne peut aucunement être affirmatif sur l’origine de la pièce à conviction. Dans le meurtre de Catherine Eddowes, tous les objets appartenant à la victime ou portés par celle-ci ont été répertoriés par la police Métropolitaine, mais il n’y a aucune mention du châle. Celui-ci a-t-il été oublié par les enquêteurs ? Les nombreuses zones d’ombre concernant l’originalité et l’authenticité de la pièce à conviction ne tendent pas en faveur de l’hypothèse avancée dans le livre de Russel Edwards.

Le châle n’a-t-il pas été contaminé au cours du temps ? L’ADN potentiellement présent sur l’objet ne s’est-il pas dégradé au cours des années ?

Le châle a dû être fortement contaminé par un grand nombre d’ADN, celui-ci ayant été transmis de générations en générations par la famille d’Amos Simpson. Il aurait été intéressant d’analyser l’objet dans ses moindres détails pour savoir combien d’ADN différents étaient découverts sur l’objet. Toutefois, s’agissant de traces ADN dites « riches » (sang, sperme), il n’est pas impossible de retrouver de l’ADN dans ces cellules de nombreuses années après, si celui-ci est préservé de la lumière, de la chaleur et de l’humidité.

L’ADN retrouvé est-il un ADN mitochondrial ou un ADN nucléaire ?

L’ADN retrouvé sur le châle a été comparé à l’ADN de la descendance de la sœur de Kosminski puis « identifié » pour une correspondance de «99,2% sur le 1er brin et de 100% sur le deuxième brin » d’après Jari Louhelainen. Au vu de ces déclarations et des articles de presse, il semble donc que l’identification porterait sur de l’ADN mitochondrial et non sur de l’ADN nucléaire. Si cela était bel et bien le cas, comment le biologiste peut-il s’assurer que l’ADN mitochondrial provienne bien du sperme (qui hors exception, est un liquide biologique très peu chargé en ADN mitochondrial) et non d’une contamination extérieure ?

L’ADN mitochondrial de Kosminski est-il unique ?

Contrairement à l’ADN nucléaire, l’ADN mitochondrial est identique chez un grand nombre de personnes. Du fait, que les mitochondries des spermatozoïdes soient éliminés au moment de la fusion avec l’ovule, l’ADN mitochondrial est un héritage purement maternel. Cet ADNmt est strictement identique au sein d’une même fratrie (sauf exceptions). A l’époque des faits, d’autres individus pouvaient donc posséder le même ADN mitochondrial que celui de Kosminski.

Pourquoi les experts ont-ils travaillé sur de l’ADN mitochondrial ?

Parfois, lorsque l’ADN nucléaire n’est pas présent ou trop dégradé, les experts travaillent sur l’ADN mitochondrial. On rencontre environ 100 à 1000 mitochondries par cellule et chaque mitochondrie contient une dizaine de copie d’ADN mitochondrial, ce qui explique que l’exploitation de l’ADN mitochondrial à théoriquement entre 1000 à 10.000 fois plus de chance de réussir, surtout en phase d’ADN en très faible quantité ou très dégradé.

Quelle est la portée de cette comparaison ADN ?

En supposant que le châle provienne bien du meurtre de Catherine Eddowes, la découverte de cet ADN mitochondrial renforcerait l’hypothèse selon laquelle Kosminski serait bien l’auteur des faits. Mais il est impossible d’affirmer avec certitude que cet ADN appartient à Aaron Kosminski.

Afin d’examiner la pertinence de la preuve apportée par Russel Edwards il faudrait connaître la fréquence de l’ADN mitochondrial découvert. Aujourd’hui, à partir des bases de données existantes, la fréquence des ADN mitochondriaux est comprise globalement entre 0,004% et 5%. Ainsi, en effectuant une analyse d’ADN mitochondrial, il est exclu de pouvoir affirmer qu’une trace provient d’un individu à l’exclusion de toute autre personne.

En supposant que Kosminski avait un ADN mitochondrial très rare et en utilisant la fréquence basse de 0,004%, cela signifierait que sur les 40 millions d’habitants en Grande Bretagne à l’époque des faits, 1600 personnes pouvaient posséder le même ADN mitochondrial que Kosminski.

De la même manière, si le scientifique Jari Louhelainen a travaillé sur de l’ADN mitochondrial pour identifier la victime, le même raisonnement est valable. Autant dire qu’au vu des contaminations possibles, les deux ADN détectés pourraient appartenir à deux personnes étrangères à l’affaire.

De l’ADN à l’assassin il n’y a qu’un pas ?

Au meilleur des cas, si l’ADN retrouvé sur le châle provient bien d’une trace de sperme laissée par Kosminski et d’une trace de sang laissée par la victime, peut-on conclure à la culpabilité d’Aaron Kosminski pour autant ? En effet, les circonstances du cas, notamment le métier de la victime (prostituée), peuvent très bien expliquer la présence de traces de sperme. La présence d’ADN d’un individu sur un objet ne prouve en rien l’acte criminel qui n’est qu’une question d’interprétation et de surcroît du ressort de la Justice et non de la Science.

« Après cent vingt-six ans, j’ai définitivement résolu le mystère », se félicite l’enquêteur amateur. Pourtant, bien des questions restent en suspens…

Un article de Didier Porte pour © www.police-scientifique.com

Merci tout particulier à Olivier Peynot, Michel Moatti, Olivier Pascal et Marie-Gaëlle Le Pajolec pour leurs conseils

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